mercredi 20 août 2008

Land of Bounty


Un éditorialiste conservateur s'élevait contre l'idée répandue par les penseurs de la gauche new-yorkaise selon laquelle les Etats Unis seraient en déclin: "En dehors des States, règnent soit des pouvoirs autoritaires (La Russie, la Chine, ...) soit des régimes corrompus . De plus, si nous étions sur la pente, pourquoi tant d'étrangers souhaiteraient venir s'établir chez nous?".   Argumentation courte. Je l'ai reprise ici pour illustrer le débat. La question du déclin est, comme en France, posée. Mais il est une évidence, qui nous apparaît chaque jour plus claire:  les américains sont confrontés - et je crois plus brutalement que nous- aux limites de leur modèle -extensif- de développement; la prise de conscience semble douloureuse, autant l'idée d'abondance et l'optimisme technologique sont consubstantiels à l'identité américaine. Des situations particulières de crise relatées quotidiennement par la presse confirment notre perception d'une sorte de malaise ambiant: ce juge du Nouveau Mexique qui décide qu'il en est fini de reconnaître à chacun le droit, sans restriction,  de forer un puis d'eau à des fins domestiques, ce fermier qui s'interroge sur la façon dont il va pouvoir sauver son exploitation agricole face à la sécheresse, à la hausse vertigineuse des prix du diesel et des herbicides, à la chute des réserves d'eau dans la nappe phréatique; tous ces consommateurs qui se retrouvent littéralement sur le trottoir après la vente forcée de leur maison dépréciée... Un dollar dévalué par rapport à l'Euro -bien qu'atout en terme d'exportation- ajoute au sentiment de "perte de standing". Ils avaient l'habitude de visiter l'Europe en conquérant; aujourd'hui, ils se résignent à découvrir la belle Amérique, en assistant au déferlement d'européens prenant d'assaut leurs boutiques, leurs restaurants et leurs hôtels de luxe.  Humiliation pour ce peuple fier et matérialiste.

Taliesin West





Scottsdale.  17 juillet. 
1929, crash monétaire. La "grande dépression" n'épargne pas Frank Lloyd Wright, alors même que sa réputation n'est plus à faire. Il a 70 ans et les commandes se font rares.  Comme substitut, il décide, sous l'impulsion de son épouse arménienne, d'enseigner l'architecture. Ensemble, ils fondent, dans le Winsconsin, Taliesin, école vouée à l'apprentissage théorique et pratique de la construction. Quelques années plus tard, en 1937, ils établiront leur campus d'hiver dans le désert d'Arizona. Ainsi naquît "Taliesin West". 
Les images et les explications fournies lors de notre visite à la Fondation Wright, dans les faubourgs de Phoenix, nous ont permis d'imaginer cette passionnante aventure: l'isolement, la rudesse des conditions, la construction du campement et son amélioration au fil des ans, la proximité de la nature, la beauté du désert, la convivialité et l'enthousiasme des bâtisseurs, la caravane rouge faisant la transhumance entre les deux campus etc... Aujourd'hui, il ne reste plus grand chose de ce cadre. L'architecture, ici, est encore enseignée et pratiquée, mais le lieu, que nos hôtes refusent d'appeler "musée",  nous paraît définitivement marqué par la personnalité de son fondateur. Comme la réserve d'Indiens toute proche, Taliesin West, entouré de son "jardin-désert" (fort convoité), est devenu une incongruité, une enclave isolée au sein de Phoenix, métropole de 4 millions d'habitants, principal pôle de la "Sun Beld". 

jeudi 31 juillet 2008

Salad Bowl



























































Dans l'Etat du Nouveau Mexique, 42 % de la population est hispanophone. Aux Etats Unis, les hispaniques constituent la minorité la plus importante (12%). Mais une minorité pas comme les autres. Le très actif bureau de recensement prévoit, à côté des catégories "race" (afro-américan, asian, ...), la catégorie "hispanic", qui se superpose aux autres. Un black, comme un blanc ou un asiatique, peut ainsi se déclarer "hispanic".


La majorité des hispaniques sont mexicains (90%). Dans les Etats que nous avons traversés, Utah compris, la pression de l'immigration mexicaine se perçoit clairement. Les "petits boulots" dans les motels et restaurants sont occupés par eux. De même, dans les champs de la Salinas Valey (Camino Real), en Calfornie, les ouvriers et ouvrières agricoles paraissaient tous originaires du Mexique. Certains sont ici depuis toujours, comme Rocqué, né à Santa Fé; d'autres viennent d'arriver, comme cette jeune femme rencontrée dans une "Laundro-Mat" qui ne souhaitait pas révéler à un compatriote combien elle avait payé pour passer la frontière, ou encore cette doctoresse hondurienne, chargée de l'accueil dans un café, rentrée régulièrement il y a six mois aux USA pour y pratiquer son métier mais en attente de la reconnaissance de son diplôme.
La culture latino est une réalité aux USA. Les latinos parlent l'espagnol entre eux. Ils ont leurs journaux et leurs chaînes de télévision. Les uns visent une certaine éducation à la citoyenneté ("aux Etats Unis, il est interdit de rouler en voiture sans assurance; les conséquences d'une infraction peuvent être lourdes"), les autres apportent les nouvelles du pays, principalement les résultats de football et les faits-divers. Les expressions, nombreuses, de l'identité latino ne semblent pas déranger. C'est comme s'il n'existait aucun tension entre l'affirmation d'une identité culturelle autre et la citoyenneté américaine. Le Salad Bowl bien assimilé ! Cela me rappelle le constat, étonné, de Bernard Henri Levy (American vertigo) à propos de la situation de la communauté musulmane de Chicago après le 11 septembre: "aucune stigmatisation: ils sont Américains". Sans doute y a-t-il là une sorte d'effet miroir: la facilité avec laquelle les Américains acceptent les étrangers serait fonction de l'adhésion de ces derniers au modèle américain. L'American Dream comme matrice réunissant tout ceux qui, régulièrement ou non, sont parvenus à "rentrer".


Mais il me faut nuancer. Le débat sur l'anglais comme langue officielle ("English Only") témoigne de la diversité de la situation. De quoi s'agit-il ? Ni la Constitution ni aucune Loi ne reconnaît l'anglais comme langue officielle. Des panneaux routiers sont bilingues; certaines rues sont mentionnées comme "Calle"; des documents officiels sont rédigés en espagnol ou en chinois. Quelques politiques voudraient aujourd'hui imposer l'anglais comme langue officielle, c'est à dire comme seule et exclusive langue administrative. L'argument: l'anglais est un des fondements de notre société. Les discussions se poursuivent, au Congrès et dans les éditoriaux, mais les partisans du "English Only" semblent minoritaires. Sans rentrer dans le débat à proprement parler, le Sénateur Obama a récemment déclaré que la question n'était pas celle de l'apprentissage de l'anglais par les étrangers - "ils doivent le faire et ils le feront"- mais celle d'apprentissage de l'espagnol (il rectifiera par la suite en précisant qu'il visait une seconde langue) par les petits américains. Ce qui est marquant dans ces propos, ce n'est pas tellement le geste de séduction à l'adresse d'une communauté latino qu'il lui faut encore conquérir, mais davantage la possibilité pour lui de tenir pareils propos, dans ce contexte précis, avec la conviction que sa position peut être entendue et acceptée par tous ceux qui constituent le centre électoral.

dimanche 27 juillet 2008

Native American























Navajo Reservation. 12 juillet. Seul un panneau planté le long de la route indique notre entrée en territoire Navajo. La shériff rencontrée à Leupp confirme que nous pouvons traverser la réserve librement, sans permis. Celui-ci était requis en territoire Hualapai. Qu’évoque pour moi le terme indien, réserve, navajo ? Des  notions très confuses: des images romantiques – ou terrifiantes – véhiculées par les westerns ingurgités à forte dose pendant mon enfance, des connaissances d’ordre culturel et artistique acquises pendant mes études en histoire de l’art, une approche romancée à travers les polars ethnologiques de Tony Hillerman... C’en est la vision la plus contemporaine, celle qui met en scène, sans pathos, deux flics - Joe Leaphorn et Jim Chee - de la police tribale Navajo. Des histoires intelligentes et subtiles, des personnages qui oscillent entre deux mondes. Une immersion dans un contexte complexe, mêlant histoires de clans, croyances dans l’au-delà, recherche d’harmonie difficile à atteindre pour les deux « héros »…. Nous n’avons rien pu saisir de cela durant notre traversée, de Leupp à Gallup. La route, dans ce semi-désert, est à nouveau majestueuse, et … solitaire… à part quelques pick-up et voitures conduites par des Navajos, nous avons eu l’impression d’être seuls au monde, bien loin de cette autoroute quittée à Flagstaff (porte du Grand Canyon) et parcourue de 4x4 plus citadins les uns que les autres. Une ‘rencontre’ fortuite, heureuse et souriante nous a marqués: celle d’une troupe de cavaliers Navajos se rendant à un pow-wow. Durant les Week End  d’étés, les familles, tribus, villages, se retrouvent autour d’un feu, dansent et accomplissent les rites de leur clan. 

mardi 22 juillet 2008

Roden Crater II














Nous contournons Sunset Crater pour nous rapprocher de Roden Crater. Nous avons à peine roulé une vingtaine de miles ; le paysage est très différent du site national que nous venons de quitter. Fini les Pins de Bentham qui me donnent l’impression d’être face à un paysage suisse ou autrichien. Ici, l’espace est ouvert, dégagé, sec et rocailleux, ponctué de monts volcaniques. Nous traversons la « frontière », dont l’existence est indiquée par un panneau en bord de route. Nous sommes maintenant en territoire Navajo. Il s’agit de la plus importante « Reservation » de tous les Etats-Unis. La nation Navajo gère ce périmètre de 70.000 km carrés de terres désertiques. Nous disposons d’une carte situant Roden Crater. Elle est relativement explicite.  La difficulté réside une fois de plus dans son interprétation. Après quelques errements, un détour par la station-service de Leupp - la dernière que nous verrons avant bien longtemps, tenue par des indiens -, nous voici face à Roden Crater.  


lundi 21 juillet 2008

Roden Crater I





Leupp Arizona. 12 juillet. Roden Crater, l’œuvre majeure de James Turrell, est toujours en construction. Depuis que l’artiste a acquis le cratère - au milieu des années 70 -, après avoir survolé le  Sud–Ouest des Etats-Unis pendant des mois à bord de son petit avion à la recherche du « lieu idéal» :  un site à partir duquel il pourrait entamer son grand œuvre. Un lieu marqué par le temps et dans lequel il créerait  des espaces pour y travailler la lumière et la faire « ressentir ». Comme Complex City (Nevada) de Michaël Heizer , autre œuvre majeure du Land Art , seuls les (très) généreux donateurs et quelques personnes triées sur le volet (galeristes et journalistes) peuvent pénétrer les lieux. Le site comporte des galeries et des chambres pour observer étoiles et constellations - James Turrell collabore avec des astronomes et des géologues. Le travail est colossal et nécessite un financement énorme. La Dia Foundation soutient ces deux projets (ainsi que Lightning Field de Walter De Maria où nous serons bientôt) et assure que dès qu’ils seront achevés, les premiers visiteurs pourront y pénétrer.

 

Roden Crater se situe à proximité de Flagstaff, en Arizona, à la frontière de la Navajo Reservation. Nous avons d’abord cherché à l’apercevoir depuis Sunset Crater (monument national). Nous avons demandé aux Rangers de nous indiquer le meilleur point de vue pour apercevoir le cratère. Ils le désignent sur la carte, précisant que le lieu est inaccessible au public, que son ouverture est reportée d’année en année. Nous nous y rendons mais le ciel s’assombrit rapidement, le vent se lève, l’orage gronde. Nous rebroussons chemin. Il est déconseillé de s’attarder lorsque les premiers éclairs apparaissent. Les Rangers nous montrent les arbres dont les troncs ont été taillés par la foudre. Convaincant. 




(Photo) Le sourire et la bienveillance de John, Ranger francophone. Il est officier retraité et a enseigné à l’école militaire à Paris durant cinq ans. Il adore la France, le tennis - « j’allais chaque année à Roland Garros », et admire « le fantastique revers de Justine Henin » ! Les touristes américains présents lorsque nous avons échangé ces quelques phrases se retenaient d’applaudir, trouvant « so nice » et exotique de nous entendre discuter en français….

dimanche 20 juillet 2008

Arcosanti









Arcosanti. 11 - 12 juillet. Avant le départ, un ami architecte nous a parlé d'Arcosanti, un projet urbain au milieu du désert d'Arizona, initié durant les années 70 par l'architecte Paolo Soleri, père du concept d’"archologie » (architecture - écologie ). Un site Internet décrit le projet, sa philosophie, son histoire, son évolution, les activités proposées... et invite à y séjourner. Mail de demande de disponibilité, réponse rapide et nous voilà, en une heure au départ de Prescott, à Arcosanti. L'accès est plus aisé qu'on le pensait. 

L'ensemble abrite une centaine d'habitants, étudiants, artisans et employés de la Fondation. La marque "année 70" est bien présente et nous rappelle Louvain-La-Neuve: même type de matériaux de construction (principalement du béton), mêmes aménagements (cheminements piétons entre les grappes d'habitations, places de type agora, etc..). Les plans initiaux prévoyaient 5000 habitants ... le financement  n'a permis la réalisation que d'une infime part du projet, toujours « in progress ». Les apprentis étudiants poursuivent l'oeuvre, tranquillement, convaincus de participer à l'édification de la cité de demain. Leurs principes nous semblent justes - concentration urbaine, mixité des fonctions et des activités, préservation des ressources - et leur démarche intéressante -apprendre en travaillant - mais le laboratoire Arconsanti, à l'image de la grue fatiguée installée en contrebas du site, paraît figé dans une autre époque. Tout comme les théories du maître (le concept d'hyperbuilding). Pourtant, notre séjour à Arcosanti nous a plu : il est peu fréquent de pouvoir approcher pareille expérimentation; il est aussi intéressant de prendre la mesure du chemin parcouru depuis les premières prises de conscience écologistes.  Puis,  le cadre à Arcosanti est agréable. Que ce soit la grande salle communautaire au mobilier original et soigné et à l'atmosphère paisible; les deux préaux en forme d'arcs tendus dont les couleurs chaudes sont révélées dès le soleil couchant. Et encore, nos chambres charmantes, ouvertes sur la vallée et le petit canyon, qui évoquent l’architecture de Le Corbusier, et la longue piscine panoramique ! Enfin, la sympathique rencontre avec Roland, journaliste "nouvel explorateur", et Pierre, cameramam, venus aux EU réaliser un documentaire (diffusion sur Canal + en novembre) sur l'habitat expérimental.